Steorn, entreprise irlandaise, affirme que son moteur fournit plus d'énergie qu'il n'en consomme (sceptiques, lisez quand même jusqu'au bout même si c'est long, je suis des vôtres ! :-). J'ai placé à la fin toutes les références utiles. fsp est déjà au courant, j'ai ajouté ici fse et fste en espérant y trouver des idées nouvelles sur le sujet.
Petit historique En 2006, Steorn se paye une page entière de pub à $75.000 dans "The Economist" où il met au défi la communauté scientifique d'expliquer son dispositif, et propose qu'une équipe de scientifiques des plus sceptiques le teste. Cela fut fait par une équipe d'une douzaine de physiciens. Les détails sont inconnus mais pas leur verdict, qui est tombé mi-2009 : rien d'anormal n'a été constaté, aucune brèche dans les lois de la physique. Entre-temps une première démonstration publique échoua.
Final demo Cependant Steorn maintint son affirmation et poursuivit ses développements dans un but d'industrialisation. Fin 2009, Steorn commence des démonstrations publiques de son moteur, depuis un hall d'exposition de Dublin. Sa demo finale fut faite la semaine dernière. Leur moteur marche, mais sur une batterie. Evidemment les sceptiques, dont je suis, y voit tout de suite comme un petit défaut pour une machine censée fournir sa propre énergie... :-). Mais les choses ne sont pas si simples.
Description Le moteur de Steorn est facilement reproductible : il consiste en un rotor à axe vertical, rotor sur lequel sont fixés des aimants puissants (groupés par paires, pôles orientés radialement). Face aux aimants, sur le stator, sont fixées des bobines toroïdales à noyau de ferrite, reliées à un générateur d'impulsion déclenchée à une position précise des aimants, grâce à un détecteur optique.
Fonctionnement Lorsqu'un aimant approche d'un tore de ferrite, ferromagnétique, il est attiré par elle à cause du gradient de champ magnétique, et fournit donc un travail mécanique au rotor. Quand l'aimant est au plus près du tore, et va s'en éloigner, une impulsion est envoyée dans la bobine. Le courant dans la bobine toroïdale provoque un champ magnétique qui sature le noyau de ferrite, faisant chuter sa perméabilité. Il s'en suit que l'aimant peut continuer sur sa lancée à s'éloigner du tore, étant moins attiré vers l'arrière qu'il ne l'était vers l'avant lors de l'approche. Ce déséquilibre des forces entre l'arrivée et le départ permet la rotation du moteur.
Explication a priori On se dit évidemment que l'énergie fournie à la bobine est celle qui finalement va faire tourner le moteur. Pourtant les mesures indiqueraient que non, et d'autre part on ne voit pas très bien la relation entre l'énergie pour saturer le tore ferrite et celle qu'utilise le couple moteur.
Les mesures Steorn a mesuré le courant et la tension pendant l'impulsion. Etonnamment, celles-ci sont constantes, il n'y a pas de fcem, et si l'on calcule l'énergie à partir de la puissance fournie U*i moins la puissance dissipée dans la résistance du circuit R*i², on constate qu'elle augmente. D'autres expérimentateurs constatent aussi la constance de U et i pendant l'impulsion, et les mesures de l'un confirment que l'énergie fournie par la batterie, moins celle dissipée dans R, est inférieure à celle qui serait nécessaire pour faire tourner le moteur.
Pour le côté électrique Pour moi l'équation est simple : U = R*i - d(L*i)/dt = R*i - i*dL/dt - L*di/dt où L est l'inductance (variable puisque la perméabilité du tore de ferrite change), R la résistance du circuit, i le courant et U la tension de l'impulsion. On parle bien sûr ici de valeurs instantanées. Le signe - est en accord avec la loi de Lenz (la variation de flux s'oppose au courant qui lui donne naissance). i étant constant pendant l'impulsion : di/dt=0 et donc il nous reste la simplissime équation : U = i * (R - dL/dt). On voit donc que
1) si l'inductance diminue pendant l'impulsion, dL/dt est négatif, -dL/dt s'ajoute à R et consomme de l'énergie. 2) Si l'inductance augmente, dL/dt est positif, -dL/dt se comporte comme une impédance négative et fournit donc de l'énergie au système. 3) Si dL/dt=0, toute l'énergie de la batterie est dissipée dans la résistance.Analyse On voit que les cas 2 et 3 iraient dans le sens de Steorn (le moteur tourne sans utiliser d'énergie -la batterie compense juste les pertes joules-, ou en en fournissant). Et même dans le cas 1 ce pourrait être la même chose, sauf à montrer que l'énergie électrique fournie serait supérieure à l'énergie mécanique dissipée. Mais l'on sait que la saturation de la ferrite est dûe à la résultante des champs magnétiques combinés de la bobine et de l'aimant. Comme i est constant, la bobine provoque un champ constant. Et comme l'aimant s'éloigne pendant l'impulsion, la ferrite va vers la désaturation et donc son inductance augmente. On serait donc à priori dans le cas 2.
Notes et objections
- la variation de la perméabilité des ferrites avec le champ est un phénomène conventionnel bien connu (vérifiable par ex. avec des bobines toriques récupérées dans les TV cathodiques : des courants de l'ordre de 1A ou la proximité d'aimants néodyme puissants de l'ordre de 1T font varier drastiquement l'inductance).
- il faut voir la saturation en 3D car elle dépend de l'orientation du flux qui lui donne naissance. Ainsi si la bobine sature le noyau "toroïdalement", cela ne veut pas dire que transversalement il soit saturé. Donc se pose la question de l'effet de la saturation de la ferrite par la bobine, vu par l'aimant, l'aimant participant aussi à la saturation.
- le moteur de Steorn n'est pas bouclable à cause des pertes joules (ce qui ne change pas le principe, puisqu'on pourrait envisager des supraconducteurs). Donc un point délicat dans le bilan du moteur est de bien faire la part des choses entre l'énergie dissipée par effet joule, et celle utile participant à l'entrainement du moteur. La somme des deux est celle consommée réellement, mais la seconde seulement, à comparer avec l'énergie mécanique consommée/fournie, peut nous donner le COP moteur théorique.
- il est facile de dupliquer ce moteur. Mais c'est une duplication sérieuse par une équipe indépendante, et surtout avec confirmation des mesures, qui serait nécessaire.
Voilà où j'en suis. Qu'en pensez-vous ? (rabacheurs de cours, de généralités sur le mouvement perpétuel, ou de lieux-dits sur la conservation de l'énergie, s'abstenir, merci).
--------------- La vidéo de la démonstration publique de Steorn :
1-Le site de Steorn :
La réplication par JL Naudin (réalisations et mesures à voir, mais interprétations peu crédibles, en particulier sur la "viscosité magnétique") :
Les mesures faites par P Lowrance qui l'a aussi dupliqué :